Interview Croisée
Thierry Mallet, président de l’UTP, et Claude Faucher, délégué général, reviennent sur les impacts de la crise sanitaire pour la profession. Ils détaillent également les nombreux dossiers traités en 2020 et les enjeux à venir.
Les salariés des entreprises de transports publics et ferroviaires ont permis à notre secteur de jouer son rôle essentiel de service public.
Thierry Mallet

L’année 2020 restera marquée par la crise sanitaire…
THIERRY MALLET : Nous avons tous été frappés par cette crise inattendue, sévère et très longue. Dès le premier confinement, en mars 2020, le transport public a montré sa faculté de résilience, à réagir face à cette situation inédite et à continuer d’assurer un service essentiel pour tous les Français qui avaient besoin de se déplacer. Le fret ferroviaire a prouvé sa capacité à poursuivre l’acheminement des biens nécessaires aux entreprises et à la vie quotidienne de la population. Les salariés des entreprises de transports publics et ferroviaires ont permis à notre secteur de jouer son rôle essentiel de service public. Il faut saluer les équipes et les remercier car elles se sont fortement mobilisées.
CLAUDE FAUCHER : Les entreprises ont garanti la continuité du service, la sécurité sanitaire de leurs voyageurs et de leurs salariés et adapté l’offre de transport avec pragmatisme. Cette crise a montré à quel point les transports urbains et ferroviaires, tant pour les voyageurs que pour le fret, étaient indispensables.
Quelles sont les conséquences de cette crise ?
T. M. : Pour l’année 2020, la crise se traduit, à ce stade, par des pertes de recettes commerciales et de versement mobilité estimées à plus de 3 milliards d’euros dans le transport urbain et à 650 millions d’euros dans le transport ferroviaire régional. Dans le ferroviaire en open access, qu’il s’agisse des trains nationaux et internationaux, les pertes sont estimées à plusieurs milliards d’euros, et le fret a, lui aussi, souffert d’une baisse d’activité.

C. F. : Outre tous les surcoûts dus au nettoyage et à la désinfection qui ont fait flamber les coûts de production, la fréquentation a baissé : en avril 2020, elle était tombée à 20 % de la normale pour remonter à près de 80 % en septembre et rebaisser ensuite avec le confinement en novembre. Sur un échantillon de grands réseaux que nous suivons, la fréquentation moyenne se situe autour de 60 % de la normale.
Ces conséquences vont-elles perdurer et quels sont les risques pour le secteur ?
T. M. : Il existe un risque de réduction de l’offre de transport qui pourrait entraîner des conséquences non négligeables sur le développement économique des territoires, avec de lourds impacts sociaux, notamment sur l’emploi. Sans un soutien financier fort et massif de l’État, ce risque est réel et nous attendons un signal fort de la puissance publique pour disposer de visibilité pour les mois et les années à venir.
C. F. : Compte tenu du développement du télétravail, du report modal vers le vélo en centre urbain ou vers la voiture pour les trajets plus longs, de l’essor du e-commerce, de la télémédecine, de l’e-administration, de la baisse des déplacements professionnels et de l’absence de touristes, cette baisse de la fréquentation risque de durer. Toutefois, nous espérons que certaines évolutions économiques ou sociétales : prise en compte des enjeux environnementaux, politique de certaines agglomérations pour limiter l’usage de la voiture individuelle, impact économique des transports publics, développement de nouveaux réseaux comme le Grand Paris, etc. permettront de compenser cette baisse à moyen ou à long terme.
Comment les opérateurs peuvent-ils agir face à ces risques ?
T. M. : Les opérateurs sont tournés vers l’avenir et ils s’adapteront comme ils ont toujours su le faire. Si la le transfert modal de la mobilité individuelle vers les transports publics et de la route vers le ferroviaire pour les passagers et pour le fret.
C. F. : Si nous voulons être en mesure de répondre aux engagements des Accords de Paris, récemment renforcés par le Green Deal européen, il faut favoriser le transfert modal de la mobilité individuelle vers les transports publics et de la route vers le ferroviaire pour les passagers et pour le fret.
Pendant cette crise, l’UTP a poursuivi ses travaux…
T. M. : L’UTP a poursuivi les actions engagées et travaillé sur tous les nouveaux sujets liés à l’actualité en France et dans l’Union européenne. Entre février et juin 2020, le conseil d’administration a notamment adopté cinq positions relatives au versement mobilité, à la crise sanitaire, à la nécessité d’un plan de soutien massif aux transports publics locaux pour surmonter la crise, au modèle économique des transports publics et à l’articulation entre les transports publics et le vélo.
C. F. : L’UTP a poursuivi ses travaux dans les domaines techniques, économiques, législatifs et européens. Nos travaux ont notamment concerné le MaaS, la mise à disposition des données, le véhicule autonome ou la stratégie européenne pour une mobilité durable et intelligente. Nous avons aussi poursuivi notre activité sur tous les sujets sociaux en maintenant un dialogue extrêmement actif avec nos partenaires sociaux.
Dans le domaine social, quelles sont les avancées notables ?
T. M. : Dans le transport urbain, le dialogue constructif avec les organisations syndicales a permis d’aboutir à la signature de deux accords importants. Le premier concerne les transferts de personnels des réseaux OPTILE et a été signé avec la CFDT, FO, l’UNSA et la CFE-CGC. Le second accord est un accord très courageux qui porte sur l’activité partielle de longue durée ; nous l’avons signé avec la CFDT, l’UNSA et la CFE-CGC. Cet accord permet aux entreprises d’adapter le temps de travail en fonction de leur niveau d’activité tout en maintenant l’emploi et en renforçant les compétences des salariés.
C. F. : Outre le dialogue avec nos partenaires sociaux, nous avons maintenu des échanges constants avec les représentants de l’État, les représentants institutionnels, les autorités organisatrices pour définir, face à la crise sanitaire, les meilleures pratiques, les meilleures règles qui nous ont permis et nous permettent aujourd’hui encore d’assurer la protection des passagers et des équipes.
Où en sont les négociations sociales dans le ferroviaire ?
T. M. : Les travaux entrepris en matière de professionnalisation et d’outils au service des jeunes n’ont malheureusement pas pu aboutir car certains syndicats n’ont pas voulu dialoguer à distance alors même que nous étions tous confinés. Ces mêmes organisations syndicales se sont opposées, début 2020, à l’accord classifications/rémunérations, que nous avions signé avec l’UNSA et la CFDT. L’UTP a pris ses responsabilités en adoptant une recommandation patronale pour donner un cadre social commun à tous ses adhérents, adapté à la réalité des emplois, à leur évolution, à leur diversité et aux spécificités de l’activité ferroviaire. Le ministre des Transports a informé les partenaires sociaux de son intention de prendre une ordonnance pour donner un cadre de référence applicable à l’ensemble des entreprises de la branche en s’appuyant sur le contenu de notre recommandation patronale. L’engagement de l’UTP de construire un cadre commun moderne, porteur de droits nouveaux pour les salariés et permettant à chaque entreprise de développer son propre modèle social, reste entier.
C. F. : L’absence d’accord sur ce volet essentiel de la future convention collective nationale ferroviaire est préjudiciable à tous les acteurs de la branche, notamment dans la perspective de généralisation de l’ouverture à la concurrence. La recommandation patronale reprend les grands termes de l’accord qui avait été signé avec la CFDT et l’UNSA ; elle s’impose à tous les adhérents de l’UTP et doit permettre de sécuriser un cadre social. Aujourd’hui, nous poursuivons le dialogue social sur le volet prévoyance et sur les garanties sociales pour les salariés dont le contrat de travail pourrait être transféré dans le cadre de l’ouverture à la concurrence. Nous continuons d’avancer sur la construction d’une convention collective de haut niveau, qui ne peut en aucun cas être la reprise des dispositions existantes au sein de l’opérateur historique.
Les actions de l’UTP se poursuivent-elles aussi en matière de sûreté ?
T. M. : L’UTP demande de nouvelles évolutions réglementaires et législatives pour la sûreté et la lutte contre la fraude. Nous restons en attente de l’arbitrage du Gouvernement sur le futur opérateur de la plateforme de vérifications des adresses des contrevenants.
C. F. : Il est important de rappeler que la fraude en France, c’est plus de 600 millions d’euros par an et qu’augmenter la sûreté dans les transports reste essentiel si nous voulons que nos passagers reviennent.
Quels sont les grands enjeux de l’UTP pour les mois à venir ?
T. M. : Nous allons poursuivre les négociations sociales dans le transport urbain et dans la branche ferroviaire. Nous continuerons d’attirer l’attention du Gouvernement sur les enjeux économiques de notre secteur, sur l’impact des pertes de recettes et de soutenir le GART et les associations d’élus dans leur demande de plan de soutien. L’UTP se félicite de la mission confiée par le ministre des Transports, Jean-Baptiste Djebarri, à Philippe Duron, pour formuler des propositions qui permettront de conforter le modèle économique des transports publics. Pour réussir la lutte contre le changement climatique tout en veillant aux enjeux sociétaux d’inclusion sociale de l’ensemble de nos concitoyens, quel que soit le territoire où ils vivent, l’UTP est convaincue que les transports publics sont une des clefs.
C. F. : Pour relever les défis environnementaux et sociétaux des Accords de Paris et du Green Deal européen, la mobilité doit préserver l’environnement et favoriser l’inclusion sociale ; le transport public répond à ces deux enjeux. Mais, encore une fois, l’enjeu du financement est essentiel pour assurer la pérennité de l’offre de transport public et le bon niveau d’investissement qui va permettre de décarboner la mobilité.
Quel sera le prochain grand rendez-vous de la mobilité ?
T. M. : Fin 2020, aux côtés de notre partenaire historique, le GART, nous avons organisé le Salon européen de la mobilité en format digital, et il a recueilli un vif succès. J’espère que tous les acteurs de la mobilité durable pourront se retrouver en 2021 lors des Rencontres nationales du Transport public qui se tiendront à Toulouse du 28 au 30 septembre.
C. F. : Les Rencontres nationales du transport public sont un événement majeur pour notre secteur. Sur le salon, les acteurs de la profession viendront présenter leurs innovations et leurs grands projets. Le congrès du GART et de l’UTP permettra d’aborder les nombreuses actualités des transports urbains et du secteur ferroviaire, notamment l’ouverture à la concurrence ferroviaire, la sûreté, le MaaS et les données, les petites lignes ferroviaires, l’attractivité de nos métiers, les nouvelles mobilités, les smart cities ».
La mobilité doit préserver l’environnement et favoriser l’inclusion sociale ; le transport public répond à ces deux enjeux.
Claude Faucher